A quoi bon cette photo ?

A quoi bon cette photo ? Voilà, je me demande à quoi bon cette photo. Déclencher, c’est facile. Ou pas. C’est parfois pas facile quand on cadre des inconnus. Surtout s’ils remarquent mon petit manège, mon intrusion dans leur proche environnement. Ici, on pourrait croire que la femme face à moi me regarde, mais non, elle fixe quelqu’un de son petit groupe.
Je ne les connais pas, mais je discerne dans leur conversation de l’américain et de l’allemand. Mon père, qui a fait la guerre chez les yankees et contre les boches, aurait dit du ricain et du boche. J’y pense souvent, allez savoir pourquoi. Il y avait donc de l’américain et de l’allemand – j’ai voté aux européennes – dans cette conversation à laquelle j’étais étranger.
Chez Vincent et ses Zinzins du Vin, formidable appellation, déposée soit dit en passant, pour un formidable bar à vin de la rue de la Madeleine, il y a beaucoup d’étrangers présents pour de courts séjours de formation continue, rapport au Centre de linguistique appliquée où viennent s’entretenir des profs du monde entier. Des femmes et des hommes étrangers qui parlent français mieux que beaucoup de Français, rapport à leur profession et leur goût pour notre langue. Et aussi pour leur goût de la culture française, littéraire et vinicole. L’un ne va pas sans l’autre pour beaucoup. Chez les Zinzins du Vin, on croise peu de citoyens du Golfe et peu d’Australiens, allez savoir pourquoi. En revanche on y rencontre des Japonais qui se livrent à la cérémonie du vin – eh oui – et des Chinois qui vous chantent Le temps des cerises comme si on était encore il y a deux siècles. Ou presque.
En face des Zinzins, il y a une bodega. Et au 19, il y a l’ancienne synagogue, reconvertie en immeuble de logements plutôt pauvres, pas encore reconvertis en cages à bobo. Une adresse où l’ami Chaudanne a vécu son enfance et son adolescence, avant de partir faire le tour du monde avec des étoiles dans la tête et toutes sortes de substances dont la poésie ne constituait pas la moins dangereuse. Chaudanne, je l’ai rencontré physiquement au Brésil après l’avoir croisé dans des revues de poésie. Grâce à Gérard Lemaire, à propos duquel vient de sortir le livre de Robert Roman, des éditions Le Contentieux – formidable nom pour une maison d’édition – un livre intitulé Un poète à hauteur d’homme.
Quand on lit un poème de Gérard, avec qui j’ai un peu bourlingué, on ne se pose pas la question : à quoi bon avoir écrit ce poème ? Gérard avait cette absolue nécessité chevillée au corps. Et le cerveau et l’esprit ne sont que des chairs corporelles, juste un peu spéciales.